Pour fêter la sortie de L’Opération Flamme Pourpre aujourd’hui, j’ai le plaisir de vous offrir le premier chapitre.
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Mercredi 19 septembre 2012, 6 h 40, banlieue parisienne
La sonnerie du réveil retentit comme une caisse claire entre les oreilles de David Merchant.
– Putain, tais-toi, grogna-t-il en écrasant le bouton stop.
Comme il était difficile de se lever ! Tout n’était que confusion dans sa tête, pourquoi avait-il mal au crâne à ce point ? Ah oui, tout était indirectement la faute de Steve, son collègue au labo. Pour une fois qu’ils sortaient tous les deux prendre un verre, il avait fallu qu’il abuse.
– Quand on n’a pas l’habitude de boire, on ne boit pas, pensa-t-il à voix haute.
Il bascula délicatement de la position dite « à plat ventre » vers la fameuse PLS puis entreprit d’adopter la position verticale laborieusement. La distance qui le séparait de la salle de bain lui faisait penser à un parcours du combattant étudié pour qu’on n’atteigne jamais l’arrivée. Chaque pas effectué lui rappelait qu’un batteur n’a pas qu’une caisse claire à sa disposition mais tout un arsenal !! Un ou deux haut-le-cœur plus tard, il avait enfin retrouvé sa salle de bain.
Devant le miroir, David grimaça devant le piteux visage qui le regardait, hagard : deux yeux rougis par la fatigue et l’alcool, ornés d’une coupe de cheveux bruns hirsutes.
– Et bien tu en as pris une belle mon bonhomme !
Pourtant, autant qu’il s’en souvienne, il n’avait pas bu beaucoup. Un ou deux Whisky, peut-être trois mais pas un nombre suffisant pour mettre quelqu’un dans cet état se dit-il, en tous cas pas pour avoir un trou noir comme çà. C’était bien simple, il ne se rappelait de quasiment rien, hormis être sorti avec Steve. Les bruits de la rue qui s’éveillait et annonçaient une journée supplémentaire d’embouteillages et de travail laborieux lui semblaient douloureux. Si ce batteur pouvait arrêter de jouer entre ses deux tympans !!
– Bon, rassemblons-nous ! Une douche, un bon rasage, deux ou trois cafés et direction le labo. Je n’ai que quelques tests à faire sur la nouvelle gamme BRONCOSANIS, rien de bien compliqué, je devrais m’en sortir, même avec une gueule de bois.
David travaillait pour BIOLABS, une entreprise pharmaceutique spécialisée dans la conception et la fabrication de médicaments destinés aux traitements des infections pulmonaires et des pathologies neurologiques. Cela faisait maintenant 5 ans qu’il travaillait pour eux. Du haut de ses 37 ans il était fier d’avoir pu intégrer une société aussi prestigieuse que BIOLABS. Il y avait beaucoup de candidats et très peu d’élus.
Pendant son cursus il avait été particulièrement brillant : il s’était distingué lors de son deuxième cycle en galénique et pharmacognosie mais surtout avait excellé en toxicologie. Il avait donc naturellement choisi de s’orienter vers l’élaboration des médicaments et traitements et avait passé tout son temps libre à compulser les différents écrits, thèses et autres ouvrages des grands de ces disciplines, sans bien sûr oublier Claude Galien.
C’était certain, aujourd’hui il ne travaillait qu’à l’analyse et au contrôle des prototypes, voire certains produits finis, mais il avait sa carrière devant lui, et il le savait.
David était quelqu’un de sûr de lui, travailleur, persévérant, borné même, et cela lui avait déjà valu certains désagréments. De cela aussi il en était conscient. Ses patrons aimaient ça – en plus de ses résultats, bien-sûr -, ils savaient que les bons chercheurs, les pionniers comme ils se plaisaient à le dire, étaient ceux qui ne « lâchaient rien ». Après tout, c’étaient eux qui étaient venu le « cueillir » à la sortie des études, c’étaient eux qui lui avaient expliqué qu’avant de passer à la création il fallait d’abord bien connaître les étapes du cheminement du médicament jusqu’à l’AMM – Autorisation de Mise sur le Marché – et bien sûr quoi de mieux que le contrôle et l’analyse. « Commencer par la fin, si c’est crétin ! » avait-il pensé au moment. Maintenant il comprenait mieux.
Sa vie privée n’était pas aussi chatoyante : célibataire, il n’était pas prêt, malgré son âge, à s’engager dans une relation sérieuse. Il aimait les femmes mais pas pour la vie de couple, plus pour leur compagnie occasionnelle. Il avait bien eu une relation plus sérieuse que les autres il y a deux ans mais l’insistance de la belle à vouloir rapidement se mettre en ménage avait abouti à une rupture de leur couple naissant.
Il ouvrit le robinet d’eau froide, ferma la bonde, plongea ses deux mains dans l’eau, ferma les yeux et s’arrosa le visage comme s’il souhaitait effacer ce qu’il avait vu.
– Pas mieux, songea-t-il en rouvrant les yeux.
Il avait beau être plutôt sportif du haut de ses un mètre quatre-vingts, ce matin il se sentait minable.
Apres avoir consacré plus de vingt-cinq minutes à ses ablutions – temps doublé par rapport à une matinée normale – il décida d’avaler un grand mug de café noir accompagné d’un peu d’ibuprofène. « Ca me fera plus d’effet qu’un croissant » se surprit-il à plaisanter.
– En route pour une matinée de calvaire !! dit-il tout haut, comme pour se motiver.
Sa voiture, une 407 coupé gris métallisé, l’attendait dans la rue, garée devant son petit pavillon situé à trente kilomètres du labo. Il ouvrit sa portière, s’assit, se pinça l’arête du nez tel un vieux professeur l’aurait fait après une longue lecture afin de se détendre les yeux, il démarra et resongea à la soirée de la veille :
– Bizarre….. Je me souviens bien être parti avec Steve dans ce bar, mais impossible de me rappeler de mon retour à la maison. … Steve m’aurait raccompagné ? Mais non imbécile, il ne conduit pas, tu le sais bien ! De toute façon je saurai bien d’ici peu, il va me devoir une explication !!! pensa-t- il en souriant.
Lorsque David amorça le dernier virage qui donnait sur le parc d’entreprise il fut surpris de constater que les véhicules n’avançaient plus. Au bout de cinq minutes un concert de klaxon commença piano mais semblait aller crescendo. « Le batteur ne va tarder à revenir » regretta-t-il, mais cela ne changeait rien, ses collègues et voisins commençaient à s’impatienter : la pointeuse et les médicaments n’attendaient pas. Il descendit de son véhicule et termina la boucle du virage à pied :
– Si on veut savoir ce qu’il se passe, autant aller voir soi-même !
Il alluma une cigarette, la première de la journée. Elle ne lui sembla pas agréable. Apres avoir dépassé la dernière voiture du virage il aperçut un cordon de police qui barrait l’accès aux entreprises de la zone et filtrait toutes les entrées.
– Et bien, on n’est pas près d’aller bosser !
Il fit demi-tour, fut interpellé par un ou deux conducteurs qui, excédés comme lui mais pas assez pour aller constater par eux-même, lui posèrent la fameuse question : « Que se passe-t-il là-bas ? ». Il les rassura en leur expliquant qu’il devait y avoir eu un accrochage ou un incident, que la route était bouchée mais que les « flics » faisaient passer les voitures quand même, au compte-gouttes.
Il remonta dans sa 407. Pas la peine d’allumer la radio pour passer le temps, le mal de crâne avait déjà assez de mal à passer tout seul, même si l’ibuprofène semblait commencer son combat contre l’invasion cérébrale dont il était victime.
Après avoir patiemment effectué sa marche en avant en accordéon, au rythme des différents contrôles réalisés par les deux policiers, David arriva enfin à leur hauteur.
Le plus grand des deux, un type à l’air renfrogné qui donnait vraiment l’impression de vouloir être partout sauf ici, lui fit signe de baisser sa fenêtre. David s’exécuta :
– Bonjour monsieur, police nationale, puis-je savoir vers quelle entreprise vous vous dirigez ?
– BIOLABS, monsieur l’agent, je peux savoir ce qu’il se passe ce matin ?
– BIOLABS ? Puis-je avoir votre nom ?
Une hésitation….. L’étonnement.
– Euh… bien sûr, David Merchant.
L’agent changea d’expression. Tout en faisant signe à son collègue de venir il saisit son talkie-walkie :
– Agent Doulier pour l’inspecteur Deville ….. Agent Doulier pour l’inspecteur Deville …
– Oui Agent Doulier, ici Deville
– J’ai David Merchant devant moi, inspecteur.
– Escortez le jusqu’ici, mais attention hein ! Pas de vagues.
– Reçu.
David n’en croyait pas ses oreilles. Ils l’attendaient ou quoi ? Comment un inspecteur avait-il entendu parler de lui ? Il n’avait même pas de casier judiciaire. Il avait bien eu une ou deux contraventions, mais depuis quand les inspecteurs s’occupaient des contraventions ?
– Pierre ! fit l’agent à l’intention de son collègue, lève le barrage et viens avec moi, nous escortons monsieur Merchant jusqu’à BIOLABS !
David interpella l’agent :
– Vous pouvez me dire ce qui se passe ici !! Et je vous remercie je connais la route !
– Monsieur Merchant, vous allez nous suivre jusqu’à BIOLABS, l’inspecteur Deville vous attend. Quant à ce qu’il se passe ici, je n’en sais pas plus sauf qu’un de vos collègues est décédé cette nuit, renversé par un chauffard et qu’on nous a demandé d’intercepté un certain David Merchant à l’entrée de la zone d’accès. Le reste vous verrez avec l’inspecteur.
Un collègue décédé ! Merde, qui cela pouvait-être ? Qu’est-ce qui clochait ce matin ? Etait-il encore pris dans ces rêves embrumés qu’il avait faits pendant cette nuit alcoolisée ? Bien sûr que non. Il était dans sa voiture et les flics l’attendaient.
« Calme-toi » se dit-il. » Tu n’as rien fait de mal à part avoir pris une cuite sévère ! « . « C’est normal qu’ils veuillent te voir » pensa-t-il, « Et pas que toi !! Tout le monde va y passer, après tout, un décès dans la boite, ils doivent vouloir parler à tout le personnel ! »
L’agent Doulier lui fit signe d’avancer et le dirigea par signe vers BIOLABS. » Crétin, je prends cette route cinq jours par semaine depuis cinq ans, pas la peine de me montrer la route » pesta-t-il, seul, dans sa voiture. Les huit cents mètres de rue qui l’amenaient vers BIOLABS lui semblèrent bien différents ce matin. La devanture de « Net o ‘Prim », l’imprimerie industrielle, devant laquelle deux ou trois salariés regardaient passer l’escorte, « Conrad Transport », l’entrepôt routier aux camions logotés, avec son parking désert normalement à cette heure-ci mais qui aujourd’hui affichait « complet », la structure de verre et de métal récemment construite avec ses panneaux « espaces de 1200 m2 de bureaux à louer » avec deux Mégane III Estate de la police nationale garées devant, puis enfin sa destination, son lieu de travail.
Arrivé devant le poste de garde de BIOLABS, la barrière se leva. La courte allée menant au parking était ornée de petits sapins disposés symétriquement de chaque côté. Le bâtiment, d’un blanc neutre, haut uniquement de deux étages, n’était pas imposant pour un laboratoire pharmaceutique. C’était sans compter les trois niveaux en sous-sol : la recherche, la fabrication, les salles informatiques. Les deux niveaux hors sol n’intégraient que les services administratifs et les labos d’analyses de BIOLABS. L’entrée du bâtiment, légèrement excentrée sur la gauche, était composée d’un sas contrôlé par l’agent de sécurité. Pour pouvoir pénétrer dans BIOLABS, et une fois que vous aviez annoncé votre nom à l’agent au travers d’un interphone dernière génération, il fallait présenter son badge magnétique devant le lecteur et attendre la fermeture du sas côté parking. Une fois tout cela réalisé, les deux portes coulissantes en verre blindé se séparaient pour donner l’accès aux services.
David se gara sur une des places du parking personnel puis descendit lentement de son véhicule. Bizarrement le mal de tête l’avait quitté. Etait-ce l’électrochoc provoqué par l’annonce de la mort d’un collègue ? Etait-ce simplement l’Ibuprofène qui avait gagné son combat ? Il fourra ses clés dans la poche de son pantalon puis s’avança vers l’entrée du labo. Lorsqu’il arriva à hauteur de la 1ère partie du sas, il constata que les deux entrées, celle du parking et celle des services, étaient ouvertes simultanément. Roger, le gardien de jour, enfermé dans la petite pièce vitrée attenante au sas lui fit un signe de la tête puis haussa épaules et sourcils dans un geste d’ignorance. » C’est bien la première fois que je n’ai pas à lui donner mon nom pour rentrer » pensa David. Trois autres agents accompagnés d’un homme en civil – l’inspecteur certainement – attendaient à l’intérieur du sas d’accueil de BIOLABS. L’agent Doulier, qui n’avait cessé d’escorter David lui désigna les 4 hommes. Pas de doute possible, c’était l’inspecteur.
A cet instant David ne se doutait pas que sa vie allait basculer.